Le Grand Swim a été un événement que je chérirai pour le reste de ma vie. Même aujourd’hui, quelques mois plus tard, il est impossible d’exprimer par des mots à quel point l’expérience a été incroyable. Je suis bouleversé lorsque je pense au soutien dont nous avons bénéficié, aux personnes qui nous ont encouragés à chaque étape. J’en ai encore des frissons. Dire que c’était une leçon d’humilité ne suffit même pas. Je suis très humble et plein d’une profonde, très profonde gratitude !
Je sais que je ne suis pas le seul membre de l’équipe à avoir vécu les meilleurs et les pires moments de sa vie pendant ces 37 heures. Quand j’ai dit que je voulais que l’océan m’engloutisse, j’étais sérieux. La joie d’avoir accompli cette tâche l’emporte sur toutes les ténèbres rencontrées en mer.
LE MEILLEUR !
La ligne d’arrivée
Il n’y a pas eu de meilleur moment pour moi que de sentir le sable sous mes pieds et de réaliser que mes jambes fonctionnaient encore. Je n’étais pas sûr qu’elles seraient capables de me porter jusqu’au sable sec, alors quand j’ai posé tout mon poids et que mes jambes saturées l’ont porté quand même, le soulagement a été immense. La plupart des gens présents n’oublieront jamais la « danse de la victoire » que j’ai exécutée dans ce moment majestueux. Je voulais montrer à tout le monde que j’étais sain de corps et d’esprit. Je savais à quel point mes amis et ma famille s’inquiétaient pour moi et, oui, j’ai voulu me la péter !
Une chose à laquelle je n’étais pas préparé, c’était le bruit. Tant de personnes étaient venues au quai de West Bay pour nous accueillir. J’étais resté seul avec mes pensées pendant la majeure partie du voyage, et le fait d’être entouré de gens qui criaient et acclamaient mon nom était incroyablement intense. J’ai gardé mes bouchons d’oreille bien en place, mais les décibels sont entrés quand même. Mon équipe médicale m’attendait dans une ambulance avec des liquides et des analgésiques. Tout ce que je me disais, c’est que je pourrais bientôt dormir !!
Le soutien
Tout au long de cet article, je parle de « nous » et pas de « je ». Je n’ai pas nagé tout seul autour du Grand Caïman. Oui, j’étais seul dans l’eau, un bras devant l’autre, en tant qu’individu, mais je n’aurais jamais pu arriver au bout sans l’ensemble de l’équipe. Jen Wardman, cheffe de projet, assistante kayak et légende, Chance Eaton, l’équipe au sol, l’équipe du bateau, toute l’équipe d’assistance kayak, les écoliers que j’ai rencontrés en chemin, les présentateurs radio qui nous ont encouragés, tous ceux qui ont fait des dons et tous les sponsors. Chaque personne a eu un rôle énorme à jouer. Chaque pièce du puzzle a fait partie intégrante du succès de cette nage.
Il y a quelque chose de magique dans le fait d’avoir une équipe de soutien composée de personnes qui ne vous connaissent que depuis peu de temps, mais qui se réunissent et travaillent ensemble pour atteindre un objectif commun.
Le lever de soleil
Nager toute la nuit, dans les sombres abysses, avoir des frissons à cause de la température de l’eau et à la pensée de sa profondeur, c’était épuisant à bien des égards. Lorsque le soleil a commencé à se lever le matin du deuxième jour, j’étais rempli d’énergie et de soulagement. Nous étions à mi-parcours et mon moral remontait au même rythme que le soleil qui se levait à l’horizon. Toute l’équipe était heureuse de sortir de l’obscurité.
Les visites d’écoles
Au début de mon voyage, les visites d’écoles auraient figuré sur ma liste des 5 points faibles ! Je n’étais pas un orateur et je n’aimais pas beaucoup être mis sur la sellette. J’ai eu l’occasion de parler aux jeunes des îles Caïmans de mes précédentes nages et de la cause pour laquelle nous menons des actions de sensibilisation. J’ai eu la chance que la plupart des élèves soient engagés et écoutent bien, mais avec d’autres élèves, il a fallu beaucoup plus d’efforts pour retenir leur attention. Ils voulaient tout connaître de mes rencontres fortuites avec les animaux (requins) que j’avais faites en nageant ! Ils m’ont regardé les yeux écarquillés lorsque nous avons parlé de l’itinéraire que nous prévoyions d’emprunter. C’est bien beau de parler avec fierté de ses réalisations antérieures, mais je me sentais un peu comme un imposteur en parlant de quelque chose que je n’avais même pas encore essayé.
Ce sont les souvenirs de ces visites d’écoles qui m’ont vraiment permis de rester sur la bonne voie lorsque les choses devenaient difficiles. Lorsque mon cerveau me disait de tout arrêter, je me souvenais des visages des enfants émerveillés et plein d’attente, et cela m’a permis de rester fort et de continuer à nager. Je voulais m’assurer que je pouvais être le héros qu’ils pensaient déjà que j’étais.
The Buzz
Toute l’île de Grand Caïman parlait de la nage. Nous avons fait beaucoup de bruit, comme nous en avions l’intention au départ. Les préparatifs comprenaient des interviews à la radio, des collectes de fonds et des tirages au sort avec lots à gagner. Nous avons eu la chance d’avoir de nombreuses entreprises locales à nos côtés. Et tout cela avant même que je ne me jette à l’eau ! Le jour J, l’effervescence était irréelle. Un petit groupe de personnes nous a fait signe sur la ligne de départ (à 5 heures du matin), mais au fur et à mesure que les kilomètres défilaient et que les heures passaient, de plus en plus de gens s’intéressaient à ce rouquin fou qui accomplissait des exploits inimaginables en mer.
The Grande Swim a capté l’attention et le cœur de toute la nation. Non seulement en raison de la tentative de record du monde, mais aussi parce que Plastic Free Cayman a travaillé très dur pour garder les plages de l’île exemptes de déchets. Tous les habitants de l’île sont conscients de l’ampleur du problème. Il est impossible de se rendre sur une plage isolée sans être confronté à des tonnes de plastique océanique. Il est douloureux de savoir que, de notre vivant, nous ne reverrons jamais une plage vierge. Même si le plastique à usage unique était interdit demain, il faudrait des centaines d’années pour débarrasser les océans de cette substance suffocante.
LE PIRE
Plan de nutrition
Ce fut ma première gaffe et elle en a probablement entraîné d’autres par la suite. J’ai créé mon propre plan d’alimentation sur la base de ma nage à l’île de Wight, ce qui était une erreur. Je voulais rendre les choses aussi faciles que possible pour l’équipe, mais c’est un souci sur lequel j’aurais dû passer plus de temps. C’était un peu à la dernière minute et j’aurais dû tester certaines combinaisons avant de me mettre à l’eau. Une bêtise d’amateur. Je n’ai pas non plus utilisé l’huile de coco comme prévu pour offrir à ma peau et à ma bouche une bonne protection contre l’exposition au sel. Lorsque les gonflements ont commencé à s’aggraver, il m’était presque impossible d’ingérer de la nourriture solide. Les bananes, les barres énergétiques et le beurre de cacahuète étaient tous difficiles à consommer à ce moment-là.
J’ai eu beaucoup de chance que l’équipage du bateau ait pu improviser avec ce qu’elle avait. En plus de cela, je luttais contre une blessure à l’épaule et j’avais reçu une forte dose d’anti-inflammatoires. Une légère maladresse dans ma prise de médicaments m’a valu des maux d’estomac dès le début de la course. Mon corps n’absorbait tout simplement pas les nutriments dont j’avais besoin. Nous n’en étions qu’à 4 ou 5 heures et l’ampleur de cette nage commençait déjà à se faire sentir !
J’ai beaucoup appris de ces erreurs et je dirais ceci…. Habituez-vous à manger pendant que vous nagez, et mangez ce que vous avez l’habitude de manger !
Les écouteurs
Écouter de la musique est une chose que je n’ai pas l’habitude de faire lorsque je nage. J’aime la privation sensorielle, la tranquillité et le calme que m’apporte la natation. J’ai acheté des écouteurs étanches pour ma nage de l’île de Wight, mais je n’en ai pas eu besoin là bas. Cependant, lors de cette nage-ci, au fur et à mesure que les heures passaient, les voix autour de moi et le manque de sommeil ont rendu plus difficile le fait de rester détendu et concentré. Je peux canaliser la douleur, l’inconfort et l’épuisement jusqu’à un certain point… mais j’avais dépassé ce stade ! La musique allait s’avérer une distraction bien nécessaire, en chantant sur mes airs préférés, je pouvais aller plus loin que je ne l’avais jamais fait auparavant.
Mais il y avait un petit problème ! Je vais laisser Jen raconter l’histoire de son point de vue :
En tant que kayakiste de soutien, j’avais des tâches très importantes à accomplir : diriger le nageur, le nourrir et le divertir. Un sac spécial avait été rempli d’articles nécessaires tels que de la vaseline, de l’huile de noix de coco, une trousse de premiers secours et le très important appareil de musique, ce sac était censé rester sur les kayaks en permanence, ce qui n’était pas le cas. Lorsque Oly a demandé ses écouteurs, j’ai pris la radio et j’ai demandé à l’équipage du bateau de localiser ce sac. À ce moment-là, j’ai su que le sac n’était pas sur le bateau d’assistance. Il avait été oublié sur l’embarcation d’Ocean Frontiers lorsque nous sommes sortis du chenal sud pendant la nuit.
L’équipe au sol avait mis le sac en place et attendait que nous arrivions à Spots Dock où nous devions également procéder à un changement de personnel. Il nous avait déjà fallu deux heures de plus que prévu et le rythme n’était pas près de s’améliorer. Chance m’a contacté par radio et m’a fait savoir que le sac n’était pas disponible. Il m’a demandé d’en informer Oly, ce n’était pas une option. Je pouvais voir à quel point il souffrait mentalement et physiquement et je ne pouvais pas lui annoncer la nouvelle. Une nouvelle équipe d’assistance kayak était prête à effectuer le changement d’équipe, mais j’ai insisté pour rester sur l’eau jusqu’à ce que le problème des écouteurs soit résolu.
Quand Oly m’a redemandé où étaient les écouteurs, je lui ai dit qu’ils étaient en route. J’ai supplié l’équipage du bateau d’envoyer les garde-côtes à la rencontre de l’équipe au sol, d’effectuer le changement de personnel et de revenir avec le sac.
J’ai eu de la chance ! Les garde-côtes ont filé au loin et j’ai enfin pu respirer. Oly commençait à s’inquiéter et a dit que s’il devait continuer à écouter les voix dans sa tête, il allait nager jusqu’à la plage et sortir de l’eau. Il était loin de se douter qu’il n’y avait pas de plage, mais seulement des falaises à cet endroit. Je n’ai pas eu le cœur de le lui dire.
Lorsque les garde-côtes sont revenus, j’ai été très soulagée. Ils se sont rapprochés et m’ont remis le sac. L’équipe au sol nous a également fourni des vivres, ce qui a grandement facilité l’acheminement de la nourriture à Oly. Et c’est là qu’est apparue la toute puissante musique. Une fois que j’ai été en mesure de fournir à Oly son divertissement, j’étais absolument ravie. Cela lui a donné le coup de pouce dont il avait bien besoin à ce stade avancé de la nage.
L’épuisement
Il y a la fatigue, et il y a le genre d’épuisement que je ressentais à l’heure 30. En raison d’une mauvaise alimentation et de maux d’estomac, j’étais totalement épuisé. Il ne me restait presque plus rien dans le réservoir. Les nouvelles réserves de nourriture m’ont légèrement soulagé, mais j’étais tellement fatigué que tout ce que je voulais, c’était dormir. Je suis presque sûr que j’ai continué à nager tout en faisant des micro-siestes dans la dernière ligne droite. J’ai fermé un œil pendant une bonne partie de la dernière étape, ce qui a provoqué l’apparition d’un orgelet dans les jours qui ont suivi la nage.
Dans cet état, je n’arrêtais pas de penser à la naïveté dont j’avais fait preuve et au fait que cette nage était bien plus importante que moi. Pour qui je me prends, alors que cette nage est deux fois plus longue que mon record précédent, et quime mon programme d’entraînement a été restreint ? Mais… il n’y avait aucune chance que je n’atteigne pas la ligne d’arrivée. Si mon cœur battait encore, c’est que je terminerai cette nage. Les visages de tou.te.s celles et ceux qui nous ont soutenus ne cessaient de défiler dans mon esprit : les écoliers, les sponsors, ma famille et toute l’équipe de soutien. Je n’allais pas leur avoir fait endurer tout cela pour ne même pas finir. Je devais le faire, pour eux et pour l’état des océans. Le but de ma mission est resté ancré en moi même lorsque mon corps a commencé à s’effondrer.
Voir la ligne d’arrivée
On pourrait croire que c’est le point culminant de cette nage, mais c’est celui qui a été le plus difficile. Nous étions encore à 7 ou 8 miles de la ligne d’arrivée lorsqu’elle est apparue pour la première fois. Il y avait un vent de face qui a fait que le kayak de soutien s’est retrouvé plusieurs fois sur mon chemin. Je me prenais donc constamment des coups de boucliers anti-requins, ce qui n’est pas idéal lorsque vous souffrez de douleurs dans tout le corps et que votre cerveau est en train de perdre le fil.
Dans ces moments-là, j’étais tellement épuisé que j’ai pu me fabriquer des hallucinations. À chaque fois que je mettais la tête sous l’eau je décidais de ce que portait le kayakiste qui me soutenait. Il avait une guitare, un chapeau mexicain, une grosse moustache et une trompette, et tout cela créé par le pur pouvoir de l’épuisement. J’avais envie de dormir, j’en avais assez, c’était trop, et pourtant il nous restait encore deux heures à faire passer. Lorsque nous avons finalement atteint la ligne d’arrivée, je n’étais pas le seul à ressentir du soulagement. Tous les membres de l’équipe voulaient voir la fin.
Après la chute !
Lorsque je parle de chute, je ne fais pas référence à la baisse de température que les nageurs en eau libre peuvent ressentir après être sortis de l’eau (bien que j’en aie fait l’expérience dans une certaine mesure), mais à ce type de chute qui a duré beaucoup plus longtemps. L’exaltation qui a suivi la nage a été l’un des sentiments les plus puissants que j’aie jamais éprouvés, mais elle a aussi été relativement brève. J’ai connu une baisse d’humeur et un sentiment général d’absence de but après mes dernières grandes nages, donc je savais que cela allait arriver. Je suppose que j’espérais quand même que cela n’arriverait pas ; mais la chute n’en a été que plus terrible !
J’ai toujours été assez ouvert sur mes émotions et ma santé mentale (même si je ne suis pas toujours très doué pour l’exprimer) et je n’ai pas honte d’admettre que j’ai parfois des difficultés. Pour moi, la natation, comme je l’ai déjà mentionné, est mon médicament, elle calme mon esprit et me permet de me concentrer. Le problème, c’est que comme tous les médicaments, si vous en abusez, ils peuvent avoir des effets secondaires. Je pense que ce à quoi je fais référence lorsque je parle d’effet secondaire, c’est la grand déprime. Les semaines qui ont suivi cette nage, j’ai sombré dans le marasme, car j’ai été si longtemps dans l’euphorie, j’avais un tel but, et en un clin d’œil, c’était fini. Une fois l’élévation initiale retombée, j’ai lutté, vraiment lutté. J’étais dans le plus beau pays, traité comme un héros, entouré des personnes les plus incroyables que l’on puisse souhaiter côtoyer et je faisais des choses extraordinaires, j’apprenais la plongée sous-marine et je vivais ce qui était, ou aurait dû être, un des meilleurs moments de ma vie. À bien des égards, c’était le cas, mais avec le recul, je ne suis pas sûr d’avoir été présent, j’étais en quelque sorte distant et vide. Je pense que c’était premierement dû à l’épuisement de mon corps mal préparé à subir le traumatisme d’une natation de 37 heures et deuxièmement dû à un manque d’objectif. Pendant environ 6 mois, tout tournait autour de Grand Swim, je mangeais, dormais et respirais Grand Swim. Je suis du genre tout ou rien et je donnais tout ce que j’avais, puis tout d’un coup, c’était terminé. Et maintenant ?
Mon retour au Royaume-Uni n’a pas changé mon humeur. J’ai passé de nombreuses semaines à lutter contre un sentiment de léthargie et j’ai beaucoup dormi. J’ai en fait pris 10 kg au cours des deux mois qui ont suivi la nage, ma blessure à l’épaule signifiait que je ne m’entraînais pas autant et je pense que la nourriture était une forme de réconfort. Pour être honnête, je pense que j’ai utilisé mon épaule comme une excuse pour ne pas m’entraîner…
J’ai le plaisir de vous dire aujourd’hui que je me sens beaucoup mieux, plus fort, et que j’ai retrouvé la motivation et la passion qui m’animaient. Je commence déjà même à regarder avec envie mon défi pour l’année prochaine !
Je tiens à remercier chaleureusement ma solidaire fiancée Tess, qui me soutient pleinement et qui sait que les hauts et les bas vont de pair. Je t’aime, Tess, et je suis désolé de t’avoir fait subir tout cela.